Direction de la communication et des relations publiques Tél. 04 90 49 37 92
19 avril - 19 mai

Encres & Âmes

Anne Gracia et Jean-Michel Tarallo exposent à L'Aire d'Arles pendant le Festival du Dessin

Anne Gracia et Jean-Michel Tarallo exposent à L'Aire d'Arles pendant le Festival du Dessin

L’œuvre d’Anne Gracia est fruit d’une longue sédimentation, comparable à celle des alluvions dans le Delta que l’artiste aime à contempler. De la communion avec l’espace et la nature sont un jour nés des signes, un langage chiffré qui, depuis, se déploie sur divers supports et selon des techniques variées. L’encre y est matrice mais aussi matière, à la fois fluide et grenue. Elle réagit aux mouvements intérieurs qui animent l’œuvre, et les offre au regard autant qu’au toucher. Elle prend aussi son essor sur des supports plus larges sur lesquels elle devient flux, ondes, vibrations. Membrane sensible, elle y résonne des sensations engrangées par l’artiste. Les signes ne composent pas une langue mais chiffrent la relation entre l’artiste et le monde. La lumière s’y fraie un passage et donne vie à l’encre. L’une n’existe pas sans l’autre. Dans les œuvres les plus récentes, la matière s’est densifiée ; elle est devenue opaque jusqu’au point où il a fallu y réaliser des coupes claires, en révéler le revers, par des déchirures qui mettent à nu le blanc du papier. Ainsi la lumière jaillit, sillonne le fond, y trace des éclairs ou s’y épanouit en tiges luxuriantes. Le sens du toucher s’invite ici de façon encore plus insistante. Si les œuvres précédentes nous enveloppaient de leurs palpitations lumineuses, celles-ci nous incitent au plongeon à traverser leurs épaisseurs riches de mystère.

Le sens de l’épure et la ligne efficace caractérisent le travail de Jean-Michel Tarallo. On ne s’en étonnera pas : l’artiste a conservé de son métier initial de designer les notions de geste qui pense et de dessin dans l’espace. La légèreté des pièces exige grâce, recueillement, expansion. Sculptures autour du vide, elles répondent à leur inverse, les œuvres au matiérisme vibrant d’Anne Gracia.
Poussant plus loin les limites ici explorées, Jean-Michel Tarallo propose également un étonnante salle à manger : table et chaises dessinées en métal, à taille réelle, mais réduits à leurs seuls contours et donc sans usage possible. Dépourvus de remplissage, les meubles défient le regard. Il suffirait d’une arête ou d’un pied en moins pour que leur identité disparaisse. Leur présence même semble menacée d’évanouissement. Selon Platon, il existe le monde des Idées. Chaque chose y possède sa forme parfaite et éternelle vers lesquels l’artisan tourne les yeux afin de réaliser un objet qui incarne au mieux sa vérité. Les œuvres de Tarallo semblent ainsi comme en suspension entre les deux mondes, arrêtés quelque part entre le ciel des Idées et leur manifestation sensible. Ils sont (comme leur titre l’indique) l’« âme » du meuble, leur principe, ou peut-être aussi, leur souvenir, ce qui reste quand la matière s’est dissoute.

Si les deux artistes travaillent ainsi chacun à une extrémité du spectre de la matière, dans la densité d’un côté, dans son évanescence dans l’autre, leur accord est pourtant évident. Peut-être justement par leur opposition, mais aussi parce que chacun, en repoussant les limites, est en quête d’essentiel : chez l’un, atteindre l’épure et le principe même de la forme, chez l’autre, toucher au surgissement de la lumière et des pulsations du monde.

Anne Malherbe